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La catharsis de Prune Nourry

On ne parvient pas à mon âge sans avoir été confronté.e directement ou indirectement au cancer. Je ne fais pas exception. Plusieurs membres de ma famille, plus ou moins lointaine, des collègues de travail, des amis. Certains l’ont vaincu, d’autres non. Tous y ont laissé des plumes comme on dit.

On se sait tellement exposé.e à tellement de facteurs nocifs, le diesel, la pilule, la pollution, le stress, nos modes de vie, etc. Pour ma part, je ne serai pas surprise si un jour on me détecte ce fameux crabe. Je ne sais en revanche comment et si je l’affronterais. Aurais-je le courage de me battre, de subir les traitements ? On entend tout et son contraire sur le mental et le rôle qu’il joue dans la guérison, et la résilience ne fait pas partie de mes qualités premières.

Le jour de ma première mammographie, alors que j’attendais, anxieuse sans trop de raison, le médecin dans la salle, passait un reportage sur les plus beaux monuments du monde. Comme quasiment toujours, l’art et le beau ont eu raison de mes craintes. Mon pouls s’est apaisé et j’ai pu patienter plus tranquillement.

La parole se libère un peu sur ces sujets, alors tabous. Dernièrement, la journaliste Géraldine Dormoy (https://www.geraldinedormoy.com/) a fait état de son cancer du sein dans son blog et en a tiré un livre (Un Cancer pas si grave – éditions Leduc.s). J’ai été frappée par sa façon de raconter cette étape de sa vie, et surtout de transformer cette épreuve en apprentissage sur soi. On sent que la vie reprend son chemin après le traitement, mais qu’elle a dévié légèrement, que le cours n’est plus tout à fait le même. Sans doute revoit-on ses priorités, prend-on soin davantage de soi, apprend-on à aller à l’essentiel.

Toute cette longue introduction pour arriver au sujet de ce post, les dernières œuvres de Prune Nourry, exposées à la galerie Templon.

Catharsis – Selon Platon, purge qui prépare le corps à une élévation de l’âme en le purifiant.

C’est bien de cela dont il est question ici. Prune Nourry est une jeune artiste française, née en 1985. Durant sa carrière déjà bien remplie, elle a travaillé notamment en sculpture autour de la recherche génétique, du genre, du corps. Vous connaissez peut-être son armée de chinoises en terre cuite, les Terracotta daughters, détournement des soldats enterrés de l’empereur Qin.

En 2016, elle commence un parcours médical de soin d’un cancer du sein, dont elle guérit. De cette expérience naitront à la fois un court métrage nommé Serendipity dans lequel elle documente ce chemin tortueux et réalisé – excusez du peu – par Angélina Jolie; et des œuvres sculptées exposées à la galerie.

Bien sûr, la figure de l’amazone est invoquée, la thématique guerrière également, avec ces arcs, ces cibles criblées de flèches.

La sculptrice a réalisé The Amazon, œuvre de 4 mètres de haut en béton représentant une amazone blessée et recouverte de milliers de bâtons d’encens. Ceux-ci ont été brulés lors d’une performance à New York, et une reproduction miniature en est ici la mémoire.

Faisant penser à des aiguilles d’acupuncture, l’encens empreinte en réalité à la tradition japonaise des Mizuko Kuyo, cérémonies à la mémoire du fœtus pour les femmes ayant fait une fausse couche ou un avortement, dans lesquelles l’encens qui recouvre des ex-voto est brûlé pour appeler la guérison.

Le traitement du cancer du sein, spécifiquement féminin, implique parfois des répercussions sur le cycle hormonal pouvant aller jusqu’à une pré-ménopause.

Comme de précieux coraux translucides, étendant leurs branches fines sur le mur, les sculptures de corps humains ou de parties du corps faites en verre de laboratoire datent en réalité de 2010, mais font écho à la grande fragilité de la vie, et de notre corps ; à son incroyable beauté et complexité également.

Le sein, lieu de la maladie, est identifié et isolé, sujet de petites sculptures rappelant les premières coupes prétendument moulées à partir de cet organe. Lorsqu’une partie de notre corps nous fait souffrir, ne sommes-nous pas tout entiers réduits à cette partie ?

La médecine occidentale ne nous enseigne pas à penser le corps comme un tout, et traite une zone sans faire cas des autres. Ainsi, certains traitements contre le cancer font-ils parfois naître, des années après d’autres souffrances. Le corps de la femme, plus encore, dans la jeunesse comme dans la maladie, est morcelé, ses parties sont scrutées avec attention : bouche, fesses, seins, jambes, etc

Eprouver du plaisir visuel et sensoriel en relation avec des œuvres dont le sujet est si anxiogène est surprenant. C’est sans nul doute le propre de l’artiste de parvenir à créer du beau à partir de l’obscurité.

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